L’ONFP (Office National de la Famille et de la Population) a présenté, le 21 décembre dernier au Grand Hôtel à Menzah VII, une étude sur le diagnostic précoce du cancer du sein, un programme mis en place depuis 2003 par les autorités compétentes en la matière. Le cancer du sein est considéré comme un problème de santé publique dans le domaine de la santé reproductive. Depuis la conférence internationale de 1994 sur la population et le développement, organisée par les Nations Unies et tenue au Caire, traitant entre autres du thème des droits et de la santé en matière de reproduction, l’ONFP a mis au point ce programme de lutte contre ce type de cancer.
Jaouida Ben Aouali
« Le dépistage est une composante de la santé reproductive et fait partie de nos objectifs » affirme Pr Majed Zemni, président directeur général de l’ONFP, qui poursuit : « Nous aimerions remercier l’AMC en la personne de sa présidente Mme Raoudha Zarrouk (Association des Malades du Cancer) pour son précieux soutien à ce programme. »
L’Ariana : zone type pour une action top !
Le cancer du sein concerne 1 femme sur 9, il occupe la première place parmi les types de cancers pouvant affecter la femme. Près de mille nouveaux cas sont enregistrés chaque année en Tunisie et la taille de la tumeur au premier examen est de 5 cm, ce qui signifie que le dépistage se fait tardivement. Or bien que le cancer du sein soit la première cause de décès chez les femmes, s’il est diagnostiqué assez tôt, à environ 1cm de diamètre, le traitement et la guérison sont possibles. C’est un programme pilote de dépistage précoce du cancer du sein à l’aide de la mammographie et qui a été mis en place par l’ONFP au profit des femmes du gouvernorat de l’Ariana. La mammographie permet de dépister, à un stade précoce, des tumeurs non décelables par l’examen clinique ou l’autopalpation.
Cette expérience unique servira de base pour étendre le projet à l’échelle nationale afin de promouvoir les services de la santé reproductive et de consolider la prévention. 3794 (soit 25,3%) femmes ont bénéficié de deux mammographies gratuites dans un intervalle de deux ans, la tranche d’âge concernée étant de 35 à 45 ans (44% des femmes) et de 45 à 55 ans. Il faut préciser qu’elles viennent d’un milieu social et d’un niveau d’éducation défavorisés, 8 femmes sur 10 n’ont pas dépassé l’école primaire (37% de femmes analphabètes et 42% de femmes de niveau scolaire primaire), que les 3/4 d’entre elles sont sans emploi et que 13% n’ont aucune couverture sociale. Le motif de consultation n’avait aucun rapport avec les seins pour 3 /4 d’entre elles (et chez lesquelles on a découvert le cancer du sein). Ce projet sert de base à l’évaluation de l’ampleur de l’adhésion des femmes au programme et de leur intérêt par rapport à la mammographie, à mesurer l’efficacité de l’examen par cette méthode et enfin à définir les coûts qu’elle engendre. Ce programme permet en outre de déterminer la situation épidémiologique du cancer du sein dans cette zone type qu’est le gouvernorat de l’Ariana et sert de base pour les décideurs dans l’élaboration d’un programme à l’échelle nationale.
« Ce que nous voulons, c’est reproduire l’expérience actuelle qui se déroule au gouvernorat de l’Ariana dans d’autres gouvernorats, établir un circuit de prise en charge des femmes diagnostiquées, établir un système de contrôle de ces femmes et diffuser l’examen clinique des seins par mammographie dans toutes les structures de première ligne à l’échelle nationale. Car même si la masse cancéreuse est détectée, on est encore à un minimum de 2cm, d’où la volonté de renforcer le dépistage de façon à ce qu’il se fasse plus tôt.» affirme Rim Ben Aïssa, gynécologue et directrice médicale au Centre de recherche en santé reproductive de l’Ariana.
Séduire pour mieux guérir.
Le problème majeur rencontré lors de cette action est la réticence des femmes à aller consulter pour le dépistage du cancer du sein: la pudeur, la crainte du diagnostic positif, le milieu familial, les moyens matériels, sont autant d’obstacles que les professionnels de la santé doivent affronter. C’est pourquoi l’ONFP, soutenue par l’AMC, a mobilisé une équipe de femmes instruites pour un travail d’information et de sensibilisation sur le tas, a formé des comités de femmes dont la mission est de consolider le travail d’information et d’inviter les femmes cibles à se faire examiner, et enfin a mis à contribution le tissu associatif et les cadres sanitaires des secteurs privés et publics pour encourager les femmes à subir le test de dépistage précoce du cancer du sein et les diriger vers les centres de première ligne de la zone. L’AMC est d’ailleurs très active à ce niveau. ■
Raoudha Zarrouk, présidente de l’AMC dont le 1er anniversaire était justement le 21 décembre, joue un rôle important au niveau des populations car à travers son expérience personnelle de la maladie et son engagement dans son combat elle touche toutes les couches sociales. Son action dure depuis une dizaine d’années et elle a même fondé la Maison Verte à Bab Saâdoun où de nombreuses femmes, sans moyens et n’ayant pas où loger sont hébergées dans l’attente de soins susceptibles de les sauver. C’est le cas de Manel ou d’Ourida venue d’Algérie, deux femmes aux histoires touchantes et dont le témoignage a ému l’assemblée. A ce sujet Raoudha Zarrouk s’offusque : « Le représentant de la santé publique, médecin oncologue, a quitté la salle et n’a pas voulu assister aux témoignages des femmes touchées par le cancer du sein ! ».
« En Tunisie, le clivage épidémiologique se fait plutôt d’est en ouest que du nord au sud. » affirme Mansour Ben Abdallah, épidémiologiste à l’hôpital Salah Azaïez (Bab Saâdoun)
Pour ma part je couvre tout le nord, ce qui signifie en fait que dans mon secteur les différences est-ouest sont visibles. Mon rôle est d’observer l’évolution de cette maladie à travers les régions que je supervise et qui sont Nabeul, Bizerte, Zaghouan, Tunis, Sejnène (région défavorisée), El Kef, Siliana, Béja et Jendouba. » poursuit-il.
Quels sont les acquis de cet engagement de la Santé par rapport au cancer du sein ?
le cancer de manière générale est la deuxième cause de mortalité en Tunisie. Depuis une vingtaine d’année et avec la vaccination, nous sommes passés des maladies transmissibles aux maladies chroniques, à savoir les cancers, les maladies cardio-vasculaires et le diabète. Il y a donc de moins en moins de maladies transmissibles avec l’évolution de l’hygiène, la vaccination. En plus nous vivons une transition démographique : le planning familial ayant réussi nous avons donc de moins en moins de jeunes et une population vieillissante. Or le premier facteur de risque des cancers est l’âge, ce qui suppose que le nombre de cas concernés par cette maladie va augmenter. L’évolution est tout d’abord liée au tabagisme chez l’homme avec 40% de cas, dont le plus fort taux concerne le cancer du poumon, ce qui est énorme. Nous allons, d’ici quelques années, vivre une véritable épidémie car actuellement nous sommes à 2000 nouveaux cas par an, ce chiffre risque de doubler d’ici dix à quinze ans. C’est un véritable fléau lorsque l’on voit la chicha proposée de plus en plus dans les cafés ! Chez la femme c’est le cancer du sein qui remporte le taux le plus élevé. Du fait de ses études ou de son travail, la femme se marie plus tardivement et fait une première naissance tardive. Le cancer colorectal touche indifféremment l’homme ou la femme, il est conséquent à un changement d’habitudes alimentaires : la cuisine traditionnelle est délaissée au profit d’une alimentation riche en graisses.
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